Je me préparais sagement dans mes appartements, tandis que l'heure du grand bal approchait à grandes enjambées. Ma femme de chambre s'affairait tout autour de moi, rendue presque hystérique par tous les rubans, les robes, les parures que recelaient mes armoires. Elle s'émerveillait devant chaque chose telle une enfant devant sa première poupée. Je ne lui en tenais absolument pas rigueur; elle venait d'arriver dans ce château et semblait presque aussi jeune que moi. De plus, un peu d'enthousiasme me mettait du baume au coeur dans la morosité habituelle de cette vie Noble. Elle m'habilla en s'exclamant régulièrement, des étoiles dans les yeux, en prenant toutefois garde de me parler directement avec cette même joie excessive. Je soupirais intérieurement, lasse de ne pas avoir d'amis et de ne pas même pouvoir exprimer un véritable bonheur. Non seulement car je n'étais pas réellement heureuse, mais parce que ma mère prétend qu'une femme qui montre ses moindres émotions et sentiments est une femme perdue. Comment ne pas la croire? Elle possédait bien plus d'expérience que moi! Ainsi, je pouvais la croire sur parole, combien même ces règles d'hypocrisie me dérangeaient. Je le faisais pour ma mère, qui agissait pour mon propre bien. Je laissais ma femme de chambre m'enfiler ma robe, répétant des gestes mécaniques, comme avant chaque bal. Elle avait opté pour quelque chose de très chic, qui me seyait à merveille, et, pourtant, je n'étais pas vraiment à l'aise. Je n'appréciais guère de jouer la jeune femme coquette et maniérée, mais puisqu'il le fallait pour se faire bien voir de la société, selon ma mère, alors je me devais d'étouffer mon malaise. Puis ce fut au tour de mes cheveux. Elle les coiffa en débitant des tonnes de louanges, s'émerveillant de leur finesse, puis de leur couleur, pour enfin terminer par leur douceur... Je ne répondais pas à ces compliments que j'avais tant de fois entendu. Mon regard, perdu dans le vide, révélait mon ennui croissant ainsi que mes sombres pensées. Ma chevelure blonde fut relevée en un chignon impeccable, dont nul mèche rebelle ne dépassait. Parfaite. J'avais l'air parfaite, et bien plus encore lorsque ma femme de chambre acheva son chef-d'oeuvre à l'aide de bijoux, rubans, poudre, et autres artifices. J'étais la représentation type de la beauté canonique de notre siècle, j'étais l'idéal féminin. Cela devrait me plaire, me flatter, et, pourtant, tous les compliments, les jalousies, les attirances préméditées que cela engendrait ne m'enchantaient pas. De nombreuses femmes rêveraient d'avoir mon physique; quelle ingrate je semblait être! Aussitôt, et avant que ma servante ne me pose quelque question embarrassante, je relevai la tête, la gratifiant d'un signe de la tête. La jeune femme se retira en une révérence quelque peu maladroite pour ranger le bazar qui s'était installé dans ma grande chambre.
Quant à moi, je sortis de la pièce sans autre forme d'hésitation, parcourant avec détermination le long couloir qui menait aux escaliers. Je dévalai ces derniers, ayant hâte d'en finir avec cette soirée qui s'annonçait des plus ennuyeuses. Je parvins aux immenses portes qui gardaient la salle de réceptions, et marquai un temps d'arrêt devant ces dernières. Je ne fis pas attention aux regards étonné des deux gardes censés les garder, et pris une grande inspiration, me posant quelques instants, avant de pousser avec délicatesse l'un des battants de bois. La salle bourdonnait déjà, et les nombreuses personnalités présentes se tournèrent vers moi de concert. Le brouhaha fit place à un silence respectueux, tandis que l'on m'annonçait. J'effectuai une révérence afin de saluer tous nos hôtes, apercevant ma mère discutant avec réserve un peu plus loin. Mon père, lui, était absent, comme à son habitude. Cela ne m'étonnait même plus tant c'était devenu naturel. Je descendis ensuite avec une grâce, presque féline, les escaliers qui me séparaient de la salle, en contrebas. Je balayais l'assistance d'un regard indéchiffrable, ne laissant rien paraître de mes pensées ou émotions. L'ennui. Voilà ce qui sommeillait dans mon coeur, et le mal-être également. Je n'aimais pas jouer la comédie. Pourtant, au milieu de ces gens du Monde, il le fallait bien, je me le devais. Je m'avançai, avançant bien droite, assurée et semblant pourtant si fragile. Je me fondis dans la masse de personnalités, dont je ne connaissais pas bien la moitié, me noyant dans cette foule uniforme. Je ne souhaitais pas commencer une conversation, une femme démarrait rarement une discussion lors d'une soirée telle que celle-ci. Ainsi, je me promenais docilement, évitant avec adresse de marcher sur les pieds de ces gens.
Je finis par trouver un coin plus tranquille, où j'étouffais moins. Par chance, un banc pourpre molletonné gisait là. Je m'y assis avec la même grâce, parcourant toujours cette foule de mon regard d'un bleu pur, attendant que la soirée ne se passe, ou que l'on m'invite à parler, ou encore à danser, bien que ces idées ne m'enchantaient guère.